Eklablog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Marie Jeanne GUIRADO

Publié le par La Sénia

1962          L’ EXODE    

 

C’était un petit matin limpide, parfumé et tiède, avec des chants d’oiseaux. 

Un matin comme les autres, mais quand même pas banal, c’était le dernier matin.

Nous étions habillés avec les vêtements du dimanche, et devant la porte d’entrée, étaient posées  depuis la veille, six valises. 

Pas de nervosité, nous étions silencieux. Maman réunissait nos quelques bijoux dans son sac à main, avec les papiers et papa allait et venait dans la maison comme s’il cherchait le dernier petit « vestige » à caser dans une poche, pour un aller. . .  sans retour.

Nous avions le temps. Notre voisin Monsieur Juan allait nous accompagner à l’aéroport puisqu’il y travaillait, et nous avions 2 heures d’avance. J’avais tellement conscience de l’importance du moment, que je n’arrivais pas à penser, je ne réalisais pas.  Depuis la signature des accords d’Evian, trois mois avant, le projet de fuir se réalisait aujourd’hui et nous étions vivants.

Un dernier tour dans la maison, pour faire rentrer dans nos yeux tout le décor d’une vie et maman a fermé la porte. Nous avons traversé la cour jusqu’à la voiture de Monsieur Juan, et dans nos cœurs le bruit de chacun de nos pas résonnait  comme un glas.

Quand la voiture a démarré, j’ai regardé l’Eglise, les merveilleux palmiers, les arbustes odorants, les fleurs multicolores de la place et j’ai inventorié chaque détail de la rue principale de La Sénia, village de mon enfance solaire. Et puis le véhicule prenant de la distance, je n’ai plus vu que le clocher de l’Eglise où nichaient aux quatre coins, des couples de cigognes, image éternelle de la douceur de vivre.

Et après ?. . . qu’est-ce que j’ai pensé pendant ces dix minutes de parcours?  Je me surprends parfois à imaginer que mon esprit a dû distiller le « fixateur » qui a impressionné à jamais dans ma mémoire, les photos-souvenirs des derniers jours de cette tragédie.

Le trajet fut court,   et  lorsque  nous sommes arrivés à l’aéroport, j’ai été surprise par le spectacle d’une foule dense, silencieuse et désemparée. Grâce à Monsieur Juan, nous avons eu des numéros prioritaires, et il nous a conduits dans un immense hangar, lequel avait été vidé de ses avions, pour abriter des centaines de lits de camp, rangés comme les cases d’un gigantesque damier. Mes parents, mes sœurs et moi, chacun assis sur un lit, nos valises soigneusement placées dessous, nous faisions partie de cette foule effrayée, encore étonnée d’être arrivée jusque là.  Nous tous, les sacrifiés de l’Histoire, avions conscience d’être victimes de la bêtise des puissants.

Et c’est dans ce hangar que nous sommes devenus les futurs envahisseurs de la Mère Patrie, indésirables dans son sein, mais nous ne le savions pas encore.  

Après cette rupture totale du quotidien, l’abandon irréversible de ce qui fut nôtre,  nous avons perdu notre identité, chaque famille n’était qu’un numéro d’attente sur une liste sans fin.

Des centaines, voire des milliers de gens campaient dans les hangars comme des automates, leurs enfants assis à côté d’eux, avec la même expression de gravité sur leur visage. En fond sonore, le ronflement des moteurs d’avions qui décollaient et atterrissaient sans répit, jour et nuit, dans un formidable ballet aérien entre les deux rives de la Méditerranée. Mais dans cette foule aux yeux vides, c’était le silence qui choquait le plus, parfois déchiré par le pleur d’un bébé ou le son du haut-parleur appelant les numéros dont c’était le tour d’embarquer. Aucune association humanitaire pour nous soutenir, peut-être n’existaient-elles pas encore, mais nous ne ressentions ni la faim ni la soif. Une seule idée fixe : partir, s’extraire de la Terre Natale tâchée par trop de sang.

Et ce fut le début de la longue attente. . . C’était le 17 juin 1962, au petit matin.

Pour commencer, j’ai inspecté les environs. Partout la même chappe de plomb sur l’ambiance, les mêmes regards vagues et des valises. . . des valises partout. . . des valises de riches, des valises de pauvres. . .

Sur les pistes de l’aéroport des avions pleins à craquer, d’autres qui revenaient à vide sans arrêter les moteurs pour repartir encore plus vite,  en absorbant des processions de malheureux fantômes, en rangs bien serrés. De temps en temps, des silhouettes vêtues de blanc poussaient vers des avions sanitaires des brancards de blessés, de paraplégiques,  de grands vieillards et de femmes enceintes sur le point d’accoucher. Dix neuf jours nous séparaient de la date fatidique de l’indépendance.

Et je revenais m’asseoir sur mon lit de camp, pour en faire le compte rendu à ma famille, qui de son côté s’occupait de chercher quelques nourritures.

A la fin de ce premier jour l’obscurité a envahi les hangars mais les moteurs ont tourné toute la nuit dans un va et vient incessant. Le deuxième jour ressemblait au premier avec la lassitude en plus. Puis vint la deuxième nuit avec inquiétude car notre numéro prioritaire était encore éloigné de ceux égrainés par le haut-parleur.

Enfin le troisième jour s’est levé, limpide, égal à tous les autres, le ciel était haut comme toujours en Oranie, d’un bleu presque sombre tant l’atmosphère était pure.

Enfin. . . les dernières heures. Et après ? J’allais avoir 15 ans,  j’avais encore une vie devant moi et je me voyais comme le roseau de La Fontaine, je pliais mais je ne casserai pas.

Au loin la nature était superbe et elle le resterait après nous, flamboyante dans une éternité dont je serais absente.

Papa allait aux nouvelles et donnait les informations à maman qui analysait la situation.

Vers le milieu de la matinée vint le moment de quitter le hangar. Mes petites sœurs et moi tournions autour de nos parents comme des poussins autour de leur mère. Nous les suivions sans nous poser de questions, ils avançaient en nous remettant sans cesse toutes les trois devant eux, pour ne pas nous perdre. Ils étaient admirables de courage et d’énergie et se débrouillaient sans jamais se plaindre. Pendant cette guerre que nous avions, en partie, vécue dans le petit village de Clinchant, ils nous avaient protégées avec acharnement et avec des moyens dérisoires. Tous les deux tenaient cette force de leurs parents, immigrés andalous en terre française, avec tout ce que cela représentait de misères et de luttes.

Que pensaient-ils pendant que nous étions stationnés dans le groupe des partants ?   à leur famille qui reposait là pour toujours, sans que personne ne viennent plus poser des roses sur leurs tombes ?   à  la chance d’avoir goûté la douceur du Paradis dans ce pays des merveilles ?  Nous n’avons pas communiqué, peut-être pour ne pas s’ajouter la souffrance des autres.

Lorsque j’ai gravi les marches de la passerelle j’ai su que mes pieds ne fouleraient plus jamais le sol natal. Alors, avant d’entrer dans la carlingue, je me suis retournée, j’ai embrassé le paysage de toute la force de mes yeux et j’ai pris une inspiration, la dernière, que j’ai  gardé  un long moment dans ma poitrine. De toute cette épopée c’est l’instant qui restera gravé dans ma mémoire jusqu’à ma mort, la dernière bouffée d’air.

J’ai pensé aussi à mes amis de Relizane, tués sur le chemin du lycée et qui, eux, ne partiraient pas puisqu’ils dormaient dans la terre d’Algérie. Alors moi qui était vivante, j’allais vivre pour eux, intensément, j’allais réussir ma vie tant de fois menacée.

Maintenant nous étions dans l’avion, ma sœur Eliane et moi assises à gauche et mes parents à droite, Elisabeth sur les genoux de papa. C’était l’instant précis de la rupture avec tout un passé qui allait rester marqué en nous au fer rouge. L’avion décollait, les visages étaient graves, le silence pesant quand disparut de notre vue la terre natale. Aujourd’hui 45 ans après, je m’étonne encore de notre attachement si charnel à cette terre.

Pendant le voyage, pas un mot. Ce silence me rappelait le recueillement des veillées mortuaires dans notre culture .

Et dans la moiteur de ce DC4, mes pensées vagabondaient. Je n’étais pas encore arrivée en France que mon esprit retournait à Oran. Qu’étaient devenus les mendiants qui faisaient le folklore sous les arcades, et les joueurs de bandonéons ou de guitares, les magiciens ou montreurs d’animaux savants dont les petits singes demandaient la pièce aux promeneurs ? En grande majorité ils étaient revenus estropiés des deux guerres françaises.

Après Oran c’était Mendès dans le djebel. Je revoyais la grande cour de notre maison d’alors que mon père avait louée pour notre long séjour, cette cour qui chaque jeudi soir devenait une remise pour les marchands des environs. Quelle richesse de sons, de couleurs et de parfums ! Cavaliers et chameliers faisaient reposer leur montures chargées de marchandises pour le souk du lendemain. Ces hommes d’une beauté sombre, mystérieuse, évoluaient au milieu de leurs bêtes  avec majesté, vêtus comme à l’époque du Christ,  et leur cape blanche ondulant à chaque mouvement leur donnait une allure royale.

Après Mendès,  je sentais la fraicheur de l’aurore des jeudis de l’Ascension, lorsque toute l’Oranie montait en procession vers la Vierge de Santa Cruz. . .  Mais. . . quoi ? déjà l’avion survolait Toulouse ? Mon esprit revenait brutalement à la réalité présente. Dans quelques minutes nous allions marcher sur le sol de la Mère Patrie qui se révèlera très tôt aussi étrangère à nous qu’une autre planète.

C’était le 19 juin 1962, trois mois jours pour jours après la signature des Accords d’Evian.

Les années qui ont suivi, à chaque 19 juin, nous avons entendu jusqu’à sa mort quinze ans plus tard, notre mère nous dire : Aujourd’hui ça fait  *x années*  que nous sommes arrivés en France.

Marie-Jeanne Guirado.

Perpignan le 15 octobre 2007.

                                                               . . . . . . . . . . . . .

*Je sais que la création est une grande roue qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un. 

Nos destins ténébreux vont sous les lois immenses que rien ne déconcerte et que rien n’attendrit*

 

Victor Hugo.

Voir les commentaires

Julien SANCHEZ

Publié le par La Sénia

Le quotidien de notre ami Julien SANCHEZ

Voir les commentaires

Décès René AZORIN

Publié le par La Sénia

LA SENIA, ORAN, PERPIGNAN, TAILLADES 84

Ses enfants,

Mme Martine AZORIN,

Mme Laurence PASTOR,

M et Mme Philippe AZORIN;

Ses petits enfants et arrière petits enfants ;

Les familles MARTINEZ, JARASSE, CASTAGNIER, COUTELIER, GANDELLI,

Parents et alliés,

Ont la tristesse de faire part du décès de leur très regretté

Monsieur René AZORIN

Enlevé à leur affection à l'age de 94 ans

La cérémonie religieuse sera célébrée le mercredi 3 Février 2021, à 14 heures, en l'église St PAUL du Moulin à Vent à PERPIGNAN, suivi d'une crémation à Canet en Roussillon.

Un dernier hommage peut lui être rendu à la chambre funéraire Roc-ECLERC à ELNE 

La famille remercie par avance toutes les personnes qui, par leur présence et leur soutien, s'associeront à sa peine

 

Voir les commentaires